12/2006

Le personnage du clown fait certainement partie de ce que l’on nomme la mythologie personnelle.

C’est, pour moi, une incarnation cauchemardesque de l’Homme que « je » ne veux pas être, un personnage qui trouble par son aspect la question même de l’identité. Le clown arbore un maquillage coloré visant à déstructurer les traits de son visage afin de créer une autre identité. C’est un personnage que l’on trouve en abondance dans nos souvenirs d’enfance, plus ou moins de façon agréable. Pour certains, cette créature gesticulante, grotesque et a-normale est causse de véritables angoisses.

La coulrophobie, est une réelle maladie mentale: la phobie des clowns. Elle peut causer un état de panique, des difficultés de respiration, des battements irréguliers du cœur, transpiration, nausées et sensations de craintes. Ce type de phobie peut paraître incongrue. Cependant, bon nombre de gens en souffre, les empêchant parfois même dans leur vie quotidienne de se délecter d’un hamburger dans une célèbre enseigne de fast-food.

Le terme coulrophobie vient du grec ancien Kîla, coula, qui désigne les membres, la tête, les bras ou les jambes. En découle d’ailleurs en anglais kolobathris : celui qui marche avec des échasses. On peut en déduire que coula est une racine ayant servi à désigner les personnages de foires, de cirque : Les bouffons, les acrobates ou les clowns. On peut trouver une étymologie du mot de l'ancien anglais clot ou clod, désignant un être rustre et maladroit.

Le clown dans la tradition :

Dans les cirques, le clown est un acteur bouffon, d'une grande agilité, d'une grande souplesse, qui divertit le public par sa feinte maladresse et ses lazzis.  Pour les artisans du Cirque du Soleil, « le clown est un virtuose de la présence et de l'émotion, à la frontière entre le tragique et le comique. C'est la quintessence du jeu et de l'abandon, la condition humaine sublimée dans un acte créateur qui vient bousculer l'ordre établi. Au Cirque du Soleil, le clown soulève l'émotion, évoque des univers sans âge et est source d'inspiration. Les clowns transportent et créent leur univers dans chacun de nos spectacles. Solo, duo ou trio, tout est possible. Sans paroles, leur langage est celui du rire, de la catastrophe ou de la démence. Mais surtout, ils ont chacun leur planète, et l'invention leur sert de guide».

À l'origine, le clown était embauché dans les cirques pour vandaliser les plateaux entre chaque numéro, on l’appelait clown de reprise. Son travail consistait donc à faire diversion en gesticulant bruyamment puis, à la manière d’un pickpocket, il détroussait le public crédule.

Issu d’un milieu social souvent défavorisé, le clown oubliait ses malheurs autour d’un verre, voir une bouteille d’alcool, accessoire qu’on lui retrouve régulièrement. Ce penchant pour l’alcoolisme donnera plus tard naissance au faux nez rouge et explique de même le caractère rustre, vulgaire ou violent de certains jeux de scène. Au fil du temps, le clown endosse  le rôle du souffre-douleur à qui il arrive bon nombre de mésaventures, souvent en duo: l’Auguste et le clown blanc.

Le clown blanc porte un maquillage essentiellement  blanc, le bout de ses  oreilles est bleu et arbore des sourcils dessinés haut sur le front. Le maquillage blanc s’utilise pour opérer une métamorphose complète, même une a-morphose. Les traits caractéristiques du visage disparaissent totalement pour ne laisser qu’une place vide, sans nom, sans identité.

Selon la tradition, le clown blanc se déplace sur la piste toujours dos au public, ne le regardant jamais. C’est un personnage généralement élégant mais aussi intrigant. Il trouble le publique par son absence d’intentions dans le visage.

L'Auguste quant à lui est le clown au nez rouge, à la bouche large et souriante. Dans la tradition du cirque, il  traverse la piste pour rejoindre le public afin de le maltraiter, de chauffer la salle. Son rôle au sein du duo est de déstabiliser le clown blanc. Son univers se télescope souvent avec celui du clown blanc qui le domine. C’est un être agité et virulent, au discours grotesque. Parmi les clowns ayant eu une renommée internationale, on peut citer Oleg Popov en Russie, le suisse Grock, et en France Foottit, Dario & Bario, les Fratellini bien sûr, Achille Zavatta, et bien d’autres.

Histoire de clown :

Dans le théâtre élisabéthain, au XVe siècle, le clown était un personnage traditionnel emprunté au gracioso ou paysan-bouffon du théâtre espagnol. S'il était gaffeur, lourdaud et ridicule, il faisait également souvent preuve de bon sens et parfois d'un cynisme proche de celui du bouffon. Il apparut dans le théâtre populaire en Angleterre au XVe siècle et remplaça le personnage d' old vice, trop vieux et peu commode pour faire rire, qui n'était autre que le serviteur et homme de main du diable. Évidemment, le clown étant un personnage de comédie, il n'était jamais à la hauteur des tâches sournoises que son maître lui confiait, ce qui servait évidemment la dramaturgie. Ainsi serviteur du diable, l’on comprend mieux pourquoi ce personnage coloré évoque à certains méfiance et crainte.

Bien plus tard, c’est un certain John Wayne Gacy qui apporte une nouvelle face à ce personnage.

Gacy est le tueur en série qui a reçu la plus lourde sentence aux états unis, soit 21 condamnations à perpétuité et 12 condamnations à mort. En 1978, la police alertée par plusieurs disparitions d’employés de monsieur Gacy, trouve 27 cadavres dans la fausse septique sous la maison de celui-ci. Les voisins s’étaient déjà plaint de l’odeur malgré les efforts du tueur pour la masquer avec de la chaux. Il est inculpé pour le meurtre de 33 jeunes hommes qu’il menottait, violait et étranglait. Pourtant, John Wayne Gacy était un honorable citoyen, altruiste et bienfaiteur : il aimait à se déguiser en clowns pour l’hôpital d’enfants du comté ou certaines occasions caritatives. Le cinéma a bien entendu repris ce personnage faisant désormais partie du patrimoine culturel américain.

Une fois de plus, le clown est prétexte à effrayer.

Le clown et les peurs de l'enfance :

Si le clown fait rire, il peut aussi terroriser. Il est alors le rappel de nos peurs enfantines les plus ancrées. Le roman It (Ça) de Stephen King, par la suite porté au cinéma sous le même titre, met en scène un clown maléfique et illustre à merveille cette réalité psychologique.

"Ce monstre, qui a élu domicile dans les égouts, fait périodiquement surface sous les traits d’un clown tueur grimaçant, chacun peut également le percevoir à travers le prisme de ses propres démons intérieurs: pour l’un, ce sera une momie aux yeux de goudron frais, pour l’autre, un oiseau monstrueux ou un loup-garou..." raconte Isabelle Taubes dans son article "Stephen King ravive les frissons de notre enfance". Elle poursuit : « Le " ça " est le nom attribué par Freud aux pulsions qui bouillonnent en l’être humain. Les héros découvrent ici la sexualité, la violence, la méchanceté gratuite. Mais pour King, le ça est aussi l’autre nom du Mal. S’il se présente de manière surnaturelle, ses causes sont profondément humaines : il est issu des élans haineux des hommes, de leurs crimes racistes. Les héros paient pour des fautes commises par leurs ancêtres. Mais en triomphant du ça, ils sauveront la vie des générations à venir. King ne tente pas de nous leurrer : tôt ou tard, la barbarie resurgira car nul n’est totalement innocent. Pas même un enfant.  L’enfant " kingien " n’est pas l’être pur de l’imagerie traditionnelle. Il est " freudien ", en proie à des pulsions sexuelles ou mortifères, et potentiellement dangereux.[…] »

Jacques Languirand, dans l’émission de radio canadienne"Par 4 chemins" le 1er novembre 1999, parle du personnage du clown à travers l’œuvre de Stephen King. On trouve sur Internet une retranscription de cet entretient radio intitulée Halloween. De l'érotisme de la citrouille à la thérapie de la terreur.

  «Confronter la peur, cela tient de la catharsis. Et c’est peut-être l’intérêt, entre autres, de la littérature que nous devons à Stephen King qui a publié 35 best-sellers. On peut dire qu’il est le croque-mitaine préféré de l’Amérique. Voilà des œuvres qui, paraît-il, s’adressent à l’enfant qui sommeille en nous et s’interroge, donc un peu à tout le monde. C’est un phénomène rare, du reste, parce que son public est âgé de 7 à 77 ans.[…] Les lecteurs de Stephen King sont masculins autant que féminins, ouvriers ou cadres supérieurs, non diplômés ou titulaires d’un doctorat, tous pays confondus, et même les ennemis de la lecture font pour lui une exception. Dans un article du magazine Psychologies, on apprend que S. King lui-même, est un curieux homme qui vit dans l’ascèse, ne boit pas, ne fume pas, ne se drogue pas. Il travaille quatre heures par jour à sa machine à écrire sauf une journée dans l’année, à Noël.[…]  Pour se libérer des traumatismes infantiles, certains vont consulter un thérapeute. Mais, apparemment, l’univers de King fait appel aussi, d’une certaine façon, à notre inconscient en nous confrontant à " la Chose ". Dans l’un de ses romans, la Chose s’intitule " Ça ". »

On comprends aisément que le clown soit loin de faire l'unanimité. Exemple de tradition pittoresque pour certains, personnage cauchemardesque pour d’autres : le clown incarne une identité, c’est indéniable.

Le personnage du clown fait partie d’un certain patrimoine mondial de la culture, que l’on retrouve dans l’imagerie artistique comme publicitaire, mercantile comme cinématographique. On retrouve le clown en scène d’ouverture de Halloween, la nuit des masques  : le jeune Michael Myers, cher petite tête blonde déguisé en clown le soir d’halloween, regarde à travers son masque la baby-sitter qu’il assassine. 

Référence plus flagrante au clown dans La maison aux mille morts et The devil’s reject où l’on voit évoluer le Captain Spaulding dans un univers glauque, massacrant des jeunes gens à tout va, dans la plus pure tradition du film gore.

Coulrophobia, par mika :

Entre utopie et origine de l’identité, le clown interroge l’élémentaire du visage singulier.

Le thème du clown fait lui aussi appelle à notre sensibilité d’enfant et même, de façon plus subversive, à notre perception d’enfant.

La série photographique qui s’intitule Coulrophobia, s’appuie sur cette réflexion concernant l’identité du clown. Comment regarder dans les yeux cet être sournois et maléfique au costume du bon clown si jovial.

« C’est une tromperie, une supercherie, un blasphème odieux ! Comment peut-on prendre un clown et en faire cette chose ! » Voilà ce qui se dit autour de Coulrophobia. Loin d’être une scandaleuse campagne pro-coulrophobe visant à éradiquer de notre culture ce personnage effroyable, cette proposition plastique met simplement en doute l’identité profonde du clown. Qui se cache sous tant de maquillage, avec son large sourire sang sur sa peau blanche, son air triste et ce visage, finalement, que je ne reconnais pas ?…