Fascination compulsive de  l’image

L’image est une représentation ou une présentation du réel, un objet qui ressemble à un autre. Le mot vient du latin « imago », qui désigne un masque mortuaire. Elle peut être naturelle, comme une ombre ou un reflet, artificielle en peinture ou en photographie, visuelle ou non, tangible ou conceptuelle. L’image peut entretenir un rapport de ressemblance directe avec son modèle ou au contraire y être liée par un rapport plus symbolique. Pour la sémiologie, l'image se caractérise aussi et surtout par le fait d'avoir un récepteur : le spectateur.
Notre société actuelle est dirigée par le spectacle, le plaisir par l’image, et aime à se contempler, s’analyser, non pas dans un repli sur elle-même mais vraisemblablement tournée vers l’avenir. L’imagerie a bénéficié des progrès des technologies et reflète aujourd’hui, si ce n’est le futurisme, l’envie de laisser une image haute résolution de notre siècle. Il est donc naturel de se préoccuper de ce qui se passe ici et maintenant dans le domaine de la représentation.

Comme pour répertorier les choses et le monde, l’Homme sculpte, dessine, peint, photographie, filme, à n’importe quelle fin, par nécessité ou par envie. Placardée sur chaque support qui nous entoure, intervenant au moindre prétexte, pour communiquer, protester ou simplement se manifester, l’image que l’Homme a créée devient son plus fidèle compagnon.

Cet engouement, bien que présent depuis toujours, se propage si vite et si loin que nous pouvons affirmer aujourd’hui que nous vivons dans une aire de l’idolâtrie.  « Idole », « eidolôn » en grec, désigne premièrement le fantôme, le spectre, puis l’image ou le portrait. Régis Debray définit l’idole de la façon suivante: « L’eidolôn archaïque désigne l’âme du mort qui s’envole du cadavre sous la forme d’une ombre insaisissable, son double, dont la nature ténue mais encore corporelle facilite la figuration plastique ». Et c’est ici très certainement la cause de toute fascination par l’image, la raison en est sémantique, historique : l’image évoque un autre monde, celui de l’au-delà.

L’idée même que cette image puisse donner à voir ce que l’œil ne peut pas voir, un monde à l’intérieur du monde, est un stimuli sérieux pour susciter une véritable fascination compulsive.

L’émotion inhérente à toute rencontre artistique est génératrice d’images, miroir d’une histoire et d’une vie. Il existe donc une véritable subjectivité interprétative, ce qui alimente une dimension doublement cognitive. Et toute histoire menant à la mort est une tragédie dont l’acceptation en fait un acte pieu. Et l’image originelle de l’esthétique du glauque est très certainement sacrée, divine, peut être même biblique. L’icône religieuse est un objet-image visant à immortaliser les autorités divines. Et pour les rendre encore plus fascinantes qu’elles ne le sont déjà, on les qualifie d’acheiropoiet. Les Icônes, très controversées au court de l’Histoire, sont communément considérées comme véritable présentation et non représentation du divin. Le contact avec l’imagerie religieuse en générale et l’idéologie qui lui est sous-jacente est marquée par la prise de conscience de la mort et de la destinée. La peur inhérente à ce contact est celle de la connaissance d’un secret, d’une histoire sacrée, celle de l’origine de la vie. La seule image sensible que l’on en garde est celle d’un homme mort, le christ sur la croix par exemple. Le symbole alors figuré, il est l’image d’un récit, l’emblème d’un concept résolument marqué par l’idée de la mort.  

Si l’on se demande quel type d’image nous regardons avec le plus d’insistance, non seulement parmi les images plastiques mais aussi parmi toutes celles qui nous parviennent, la réponse, aussi curieuse soit-elle, est : celles qui nous font peur. La nature humaine est ainsi faite : nous regardons, nous observons, fascinés, toutes ces choses étranges et déroutantes qui mettent mal à l’aise, qui nous interrogent au plus profond de notre inconscient.

Le spectateur fasciné par cette image est animé de pulsions que la psychanalyse qualifie de morbides. Celles-ci sont irraisonnées et inconscientes et soumettent l’esprit humain à une tension. Le spectateur se doit de garder les yeux ouverts, tenir ses sens en éveil alors que ce qu’il voit le répugne, comme un reflet abject de ses pensées inavouées qu’il tente en vain de refouler. Car c’est le propre de l’homme que de s’interroger, se remettre sans cesse en question, essayer de comprendre le fondement de notre existence et sa finalité.  N’est-ce pas une pulsion toute naturelle que de regarder ce que l’on ne voudrait pas oublier ? La mort par exemple.

On regarde pour être bien sûr de ne pas oublier, comme si une petite voix intérieure nous implorait sans cesse de garder les yeux ouverts, de ne pas nous détourner de la réalité des choses. Les images glauques fonctionnent selon ce même processus. A mi-chemin entre provocation et exorcisme, les propositions plastiques nous sont jetées au visage comme des reflets pathétiques de ce que nous avons été, ce que nous sommes ou ce que nous pourrions devenir.