Le phénomène de la réalité altérée est une construction à la fois conceptuelle et figurative qui n’a pas d’autre but que de provoquer l’angoisse.

Cette souffrance psychique et somatique trouble le sujet. Les images sont autant de sensations pénibles de malaise profond, déterminé par l’impression diffuse d’un danger vague, imminent, devant lequel on reste désarmé et impuissant. On connaît les sensations physiques associées à l’angoisse : un sentiment de constriction, d’étouffement ; ainsi que les modifications neurovégétatives : palpitations de cœur, sueurs, tremblements, vision brouillée, entre autres. Le sentiment de malaise est un affect inévitable face à l’imagerie glauque. Michel Guiomar le nomme quant à lui vertige et l’explique de la façon suivante : « le vertige est immédiat et physique, même si l’imagination vient renforcer la sollicitation intime du danger ; ici, un transfert inconscient naît du psychisme directement alerté dans une démarche transcendante nécessaire pour faire correspondre un malaise psychologique et une dérive psychologique. » On peut dire que l’angoisse naît de l’attente d’un danger, imaginaire et inconnu, tandis que la peur suppose la présence d’un danger quelconque. On dit aussi que l’angoisse n’a pas besoin d’être liée à une situation réelle, elle peut être engendrée par des fantasmes, ou par des représentations imaginaires, souvent conflictuelles. Pour différencier la peur de l’angoisse, on peut dire que la peur a besoin d’un objet, alors que l’angoisse n’en a pas, l’objet conférant une spécificité à la peur qui manque à l’angoisse. C’est précisément cette indétermination qui rend l’angoisse si éprouvante, car son malaise est diffus.

L’angoisse volontairement induite par le procédé de mise en réel du glauque engendre un phénomène de panique. Choqué par le caractère sale et dérangé de ce qui est donné à voir, l’esprit humain fait rapidement le choix entre répulsion et acceptation. Alors que l’on se demande « pourquoi y a-t-il ce quelque chose qui n’est ni sujet ni objet, mais qui, sans cesse, revient, révulse, repousse, fascine », la dualité de ces deux comportements affole nos sens.

La répulsion s'applique par extension à certaines valeurs humaines d'ordre psychologique, moral ou social. C’est un rejet des sentiments et des mœurs de l’individu social.

Les images abjectes sont alors des objets de rebut. La répulsion est une valeur nettement péjorative : dernier degré de l'abaissement ou de la dégradation, ce sentiment est lié à une humiliation profonde, voulue ou acceptée, devant Dieu. C’est l’état de dégradation dans lequel se trouve le corps de l'homme par suite du péché originel.
Abjection est un terme emprunté au vocabulaire psychanalytique : « A chaque moi son objet, à chaque surmoi son abject », c’est une pulsion de l’être face à un stimuli, comme un vomissement face à du vomis. L’auteur parle aussi de dégoût, «répulsion, haut-le-cœur qui m’écarte et me détourne de la souillure, […] sursaut fasciné qui m’y conduit et m’en sépare ». L’abjection passe donc par le refus viscéral de l’objet. Julia Kristeva décrit cet objet d’abjection et e répulsion comme un « dégoût d’une nourriture, d’une saleté, d’un déchet, d’une ordure. Spasmes et vomissements qui me protégent. Répulsion, haut-le-cœur qui m’écarte et me détourne de la souillure, du cloaque, de l’immonde. Ignominie de la compromission, de l’entre-deux, de la traîtrise. Sursaut fasciné qui m’y conduit et m’en sépare. » Le dégoût alimentaire est la forme la plus élémentaire et la plus archaïque de l’abjection. A partir des tabous alimentaires notamment, se constitue un système entier d'oppositions logiques amorçant le dépassement d'une conception du contrat social fondée sur le sacrifice. « L’abject, objet déchu, est radicalement un exclu et me tire vers là où le sens s’effondre. »

La répulsion est une pulsion violente. L’objet de l’abjection est alors ressenti comme une menace contre laquelle il faut se protéger en le rejetant.

Soit celui-ci provient de l’extérieur, soit il provient de l’intérieur, de notre moi, « d’un dedans exorbitant », comme une pulsion refoulée ou un acte manqué. Dans les deux cas, l’éthique et la morale nous somment de détourner le regard de cet objet. « Il y a, dans l’abjection, une de ces violentes et obscures révoltes de l’être contre ce qui le menace et qui lui paraît venir d’un dehors ou d’un dedans exorbitant, jeté à côté du possible, du tolérable, du pensable. C’est là, tout prés mais inassimilable. Ca sollicite, inquiète, fascine le désir qui pourtant ne se laisse pas séduire. Apeuré, il se détourne. Ecœuré, il rejette. Un absolu le protége de l’opprobre, il en est fier, il y tient. Mais en même temps, quand même, cet élan, ce spasme, ce saut, est attiré vers un ailleurs aussi tentant que condamné. Inlassablement, comme un boomerang indomptable, un pôle d’appel et de répulsion met celui qui en est habité littéralement hors de lui.»

Les artistes étant responsables du message qu’il diffuse par l’intermédiaire de leurs œuvres, ils sont souvent pris à partie par la presse et deviennent eux aussi objet d’abjection.  Philippe Fichot avoue : « oui, j’ai déjà fait l’objet d’attaques et de menaces, ce qui est normal quand on choisit de représenter le corps et les tabous. Malgré l’apparent libéralisme et le choix de l’exploitation à outrance, les sociétés occidentales sont finalement restées très moralisatrices et intolérantes. En tant que créateur, je ne veux pas ignorer ou nier cet élément qui nous relie à notre nature, à cette part encore vivante de notre instinct. […] La liberté de poursuivre notre travail n’a heureusement jamais été menacée, ni remise en cause, nos motivations étant très éloignées de la pornographie et du blasphème! »
Les travaux de Philippe Fichot sont une réponse sensible et aboutie aux angoisses existentielles. Comme un traitement contre la répulsion, les images cathartiques qu’il propose sont nécessaires à la mise en œuvre de l’acceptation d’une réalité différente. Il s’agit pour l’artiste de dépasser le trauma universel lié au caractère fourbe de la manifestation artistique, et d’activer le principe même de la résilience. L’artiste se doit de nourrir son art d’une source spirituelle quasi-aliénante.

Alors pourquoi regarder ce qui n’est pas agréable à regarder ?

La phase de fascination s’explique ainsi : lorsque la psychanalyse parle d’objet, elle parle d’objet de désir. Ainsi l’objet de l’abjection n’est pas si abject que ça.
« Ca sollicite ». Cette image à la limite du tolérable, comme une photo de Joel Peter Witkin, « inquiète, fascine le désir ». Alors que toutes lois, alors que « l’absolu » nous conjure de ne pas céder à cette pulsion abjecte, notre nature profonde, bien qu’écœurée, sublime l’image. « L’abject peut apparaître alors comme la sublimation la plus fragile […] d’un objet encore inséparable des pulsions. L’abject est ce pseudo-objet qui se constitue avant, mais qui n’apparaît que dans les brèches du refoulement secondaire. »
Ce sentiment d’abjection est en quelques sortes à mi-chemin entre la curiosité malsaine, comme un accident sur le bord de la route qu’on ne peut s’empêcher de regarder, et l’excitation de la transgression de l’interdit, une envie irraisonnée de voir ce que l’on a pas le droit de voir : un ailleurs aussi tentant que condamnable.
Le regard est ainsi tiraillé entre ce rejet de l’impropre, de la souillure, et la fascination que cela engendre. Il n’y a rien d’anormale dans le fait de considérer un cadavre beau, ce n’est tout simplement pas une idée admise. Comme un boomerang, le spectateur d’une œuvre dérangeante vacille entre un pôle d’attraction et un pôle de répulsion.

Le processus d’acceptation d’une esthétique de l’horreur est couronné de succès lorsque des propositions artistiques singulières comme celles du docteur Gunther Von Hagens réunissent un public considérable. Les spectateurs s’agglutinent devant les verres protecteurs essayant désespérément d'apercevoir un détail d'anatomie de ces œuvres relevant bien plus du musée d’histoire naturelle que de la galerie d’art contemporain. Et c’est peut être cette distinction floue entre ces deux possibilités qui intrigue autant le spectateur. Les badauds enchantés se pressent de voir ces objets emblématiques de notre condition, découpés et mélangés, dans une conversation ridiculement déroutante entre un bout d'estomac et une moitié de sein. Les corps sont montrés de la manière la plus objective et la plus désintéressée possible, à un tel point que l’on a même peine à croire que ces statues de muscles confits ont été, un jour, vivantes.

La stimulation qu’exerce l’esthétique du glauque sur la perception de nos affects conduit inévitablement à un questionnement, à une prise de position radicale qui doit être en accord avec nos valeurs morales. Ce choix est propre à chacun et se divise en deux possibilités : la répulsion et l’acceptation.

Le refus d’adhérer au concept d’une réalité altérée vous placera en position de rejet d’un possible échappatoire. L’acceptation consiste en  la participation active à l’univers du glauque. Celui-ci nécessite la réception de l’individu et à donc besoin d’un catalyseur qui permettra aux passions d’exister.

Si le choix est déjà fait, c’est que l’on arrive au bout du parcours initiatique de l’esthétique du glauque.

Le glauque est avant tout l’idée d’un monde annexe au notre, un reflet égocentrique de la réalité. Cette théorie est un exemple de recensement des objets qui incarne cette idée. Or, il paraît impossible de recenser tout les exemples d’une idée. C’est en cela que cette théorie est universitaire. Dans universitaire il y a universel, et le glauque est une idée universelle.
A l’heure où notre société voue un véritable culte à l’image, une idolâtrie sans borne qui abandonne peu à peu le texte au profit d’une image quasi-icône polymorphe, le glauque propose une nouvelle image aux codes et significations bien spécifiques. Génération virtuelle oblige, nous évoluons donc dans un monde dominé par l’image : l’image sociale, l’image avatar, l’image échappatoire. Entre curiosité malsaine, pulsion morbide et sublimation plastique, tout notre être est en émoi au contact de cette nouvelle possibilité de conscience du monde. Notre appréhension de l’image glauque se rapporte à l’acceptation ou le refoulement de nos pulsions, de nous tourments.
Cette esthétique se caractérise donc par des images troublantes mais aussi une certaine fascination, presque une sublimation de l’objet plastique. C’est comme ces accidents de voitures qu’on ne peut s’empêcher d’observer du coin de l’œil, juste pour voir ou peut être pour comprendre ce qui s’est passé. Le spectateur ne semble pas pouvoir se détourner de l’image glauque qui met en place des effets mystérieusement plastiques pour nous convertire au glauque.

Bien plus qu’une proposition d’exploration plastique de l’altération, l’esthétique du glauque entend bien provoquer le spectateur pour l'amener à se réveiller. Nous nous devons de prendre conscience de notre condition pour s’en libérer. Ce processus est envisagé ici comme un parcours initiatique dans un univers désagrégé où les seules limites sont celles fixées par Le créateur. Ce sont finalement les artistes du glauque qui ont permis aux hommes d’acquérir une connaissance qui va au-delà des apparences et qui semblent être établis comme figures patriarcales de l’esthétique du glauque.
« Il se pourrait que l’importance ne soit pas le réglé, la synthèse, la belle totalité, la chose perdue ou rendue, l’accomplissement d’Eros unificateur, mais la distorsion, l’écartèlement, la différence et l’extériorité à toute forme. L’informe et le défiguré. »

L’univers altéré est pur, débarrassé du poids de la culpabilité des passions perverses et morbides. L’esthétique du glauque est un retour à l’essentiel, à la nature originelle de l’homme. Ce travail d’intériorisation puis d’extériorisation passe par la catharsis de l’image. Le glauque nous libère de nos pulsions que la morale réprime et nous permet de retourner à l’état salvateur de la nature.
Dans cet univers altéré, tout n’est que l’aversion des valeurs morales inculquées par notre société. Il est temps à présent de s’en défaire, de s’en échapper. Il est inutile de refouler le mal qui nous transperce à chaque contact avec l’image d’une esthétique du glauque. Après tout, « l’art est une tentative pour intégrer le mal ».