De l’origine à l’effacement
L’idiotie se définit par le manque ou
l’absence d'intelligence, de bon sens ou de jugement de
quelqu'un. A l’extrême, l’idiotie devient une
arriération mentale. En médecine, l’idiotie est
associée aux malformations du système nerveux, des
organes des sens ou du squelette, à cause d’une
maladie, un traumatisme ou une hérédité. On
parle alors d’idiotie congénitale.
L’idiotie est un état de simplicité, de
pureté, qui place la personne dans une position de
béatitude primaire. En l’absence de ses
facultés de jugement, l’être humain retourne
à sa condition d’animal. L’idiotie opère
un retour vers la Nature profonde des choses, comme pour montrer
une vérité que l’on a oubliée. Les
simples d’esprits et les innocents sont là pour nous
rappeler la vraie nature de notre condition. Et lorsque
l’innocence et la pureté sont incarnées par
l’enfant, la fragilité de notre constitution nous est
révélée. Cette notion est donc
l’évocation d’un certain état originel de
la personne, empreint de fragilité. L’idiotie est la
genèse des personnages qui nous guident dans le parcours
initiatique de l’esthétique du glauque.
Dans la petite chambre au mûrs délabrés de Henry Spencer, Eraserhead, aux meubles portant les marques du temps, la nature hostile et sauvage semble reprendre le pas. Un arbuste chétif, planté dans un monticule de terre, trône fièrement sur la table de nuit de Henry. Tout comme la friche industrielle dans laquelle il vit, cet arbre est désincarné, mort ou presque. Prés du radiateur se développe de façon exponentielle un lichen dru, comme une végétation recouvrant la construction, grignotant l’espace vital de l’homme. On ressent alors le caractère hostile, sauvage du lieu et de la lutte qui s’y déroule. L’idiotie nous ramène alors à un stade primitif de l'homme, encadré par les forces de la nature. Eraserhead est un exposé « de l'origine à l'effacement ». Entre les deux, le film est comme un esprit malade qui nous fait partager son angoisse devant l'inquiétante violence du monde. Le ressentit de l’être est donc ici altéré. Henry évolue dans un univers où la peur, le dégoût, le sentiment de solitude et d’indifférence se mêlent à la perception des choses et des êtres, en la modifiant.
La nature nous altère peu à peu et engloutie notre individualisme pour faire de nous des moutons de Panurge, des animaux idiots.
Les travaux de InHuman, de Philippe Fichot, visent à nous
permettre de dépasser notre condition et nos origines
animales. Car l’homme n’est pas fini : il est toujours
à la recherche de sa forme, de son chemin entre
l’animal et l’individu. Cette quête
s’opère malheureusement au détriment de la
nature dont il s’est détaché.
« J’ai pensé à la signification
double du mot Inhuman, à la fois inhumain et à
l’intérieur, au cœur de l’humain. Le cadre
du projet est la nature, une sorte de nature et de beauté
qui n'existent plus, ou qui n’ont peut-être jamais
existées.»
InHuman a pour finalité de réveiller en nous cette
part d’imaginaire et de merveilleux qui appartient à
l’univers des contes et légendes inspirées par
la nature, où l’érotisme est souvent
sous-entendu. Mais cet univers est mêlé avec celui de
l’horreur et de l’amertume du cadavre abandonné
sur le sol. C’est l’expression mécanique et
sensuelle d’une sombre fatalité, l’absence
même de toute contingence. L’idiotie est pour Fichot la
mise en scène du ver nu dont les torsions aléatoires
et ridicules affirment déjà les prémices
d’une mort certaine.
Pour l’entité Nature qui semble diriger les messages du glauque, nous ne sommes que des animaux mécaniques qui, selon Marilyn Manson, sont « les abrutis sans cervelle qui suivent les modes, s'abrutissent devant la télé, fuient la réalité en se soumettant aux drogues ». On retrouve une certaine notion d'élitisme typiquement Nietzschéen qui peut déranger. « J'ai cautionné l'idée que l'intelligence est le seul critère valable pour désigner des leaders et des décisionnaires. Personne ne choisit son sexe ou sa race mais n'importe qui peut exceller et enrichir son esprit en se cultivant et en étudiant ». L’idiotie serait alors l’inversion du pouvoir, une perte de son potentiel social. Mais Manson ne fait pas ici une critique orgueilleuse de la société puisqu’il se revendique lui-même comme, si ce n’est un idiot, un des acteurs qui propage cette idiotie. « Je m'inclus dans ce cirque ! Les médias adorent me vendre de la même façon qu'un top model. L'Amérique a besoin de créer des figures pour que les gens puissent s'identifier et s'y retrouver ».
Le grotesque, l’absurde, l’innocent : tout ceci semble être les valeurs qui construisent le monde de l’enfant. Par sa candeur, sa naïveté et sa fragilité, il est le symbole de l’étiolement de l’individu capable d’exister entant qu’être spirituel.
On assiste alors à une confrontation entre
l’abandon du corps pour n’être plus
qu’esprit et accéder à la réalité
altérée ou la souffrance n’est plus, et la
perte de l’intelligence et de la spiritualité de la
conscience pour se laisser aller à l’ignorance.
L’enfant est précieux parce qu’il est pur et
innocent. On le préserve de la cruauté du monde en
l’enfermant dans une camisole d’idiotie dont il ne
pourra se défaire que lorsqu’il aura atteint
l’age de raison. En attendant, il suscite toujours la crainte
d’un avenir prophétique dont l’issue est
inévitablement l’effacement. « Les
dévots de l'abject n'arrêtent pas de chercher, dans ce
qui fuit du for intérieur de l'autre, le dedans
désirable et terrifiant, nourricier et meurtrier, fascinant
et abject, du corps maternel.»
L’origine de l’individu est sans contexte le stade de l’idiotie. Son effacement est nécessairement la mort.