Le miroir
Aujourd’hui, nous vivons dans une civilisation de l’image, cette grande et belle Image qui nous nargue, nous stimule et nous bouleverse. Nous ne pouvons ici écarter les considérations de Platon : eidolon, le fantôme, l’image qui vient redoubler la réalité, la refléter comme un miroir, possède deux natures, l’une visuelle, analogique, et l’autre étant une nature de signe. Il n’est pas question de relancer ici le débat lancé par le philosophe sur l’ambiguïté de la mimesis, sa condamnation illusionniste et trompeuse, mais c’est pourtant ce caractère inquiétant du pouvoir de l’image qui nous intéresse. Face à elle, nous perdons certains repères et si l’ingéniosité du créateur brouille les codes nous permettant une lecture simple, le trouble s’empare alors de notre esprit. La manipulation par l’image, de part sa nature de signe, est inhérente à la possible double interprétation de son sens. Car toute image possède un sens et, plus sournoisement encore, l’un visible et l’autre caché. L’on comprend mieux la méfiance de Platon : à l’heure où toutes les informations passent par l’image, nous nous devons de l’appréhender avec précaution, pour ne pas être trompés et en comprendre toute la signification.
Voilà le pouvoir de la représentation établi : montrer la réalité, la suggérer ou tenter de la faire comprendre par l’éloquence de l’image. Comme le miroir qui reflète la réalité plus ou moins fidèlement, l’image, et cela peut importe son support, n’est que le reflet du réel.
Le principe de l’esthétique du glauque est
basé sur une appréhension particulière de
l’image, sur le trouble qui subsiste dans son rapport
à la perception de la réalité. Cependant,
l’eidolon selon Platon n’est pas la
réalité altérée selon la théorie
du glauque. L’altération n’est pas la mimesis de
la réalité ayant subi des pertes de qualité
comme c’est le cas avec eidolon, mais une
réalité qui vient redoubler notre monde.
Cette réalité altérée possède
des codes de représentation qui régissent
l’altération qui lui est propre. Contrairement au
miroir qui reproduit et déforme la chose, la
réalité altérée la modifie, la
déconstruit puis la reconstruit. L’altération
n’est qu’un autre état possible de la
réalité. Elle nécessite la vue de
l’esprit humain : c’est la perception de la
signification de l’objet altéré qui crée
cette réalité pessimiste d’un monde en proie
aux passions humaines. Ce mode de représentation,
puisqu’il s’agit bien de cela, propose l’image
d’une réalité altérée. Il faut
entendre ici que cet univers est sensiblement différent,
étrangement semblable au monde qui nous entoure mais
présentant des éléments improbables qui
n’ont pas pour seul but de susciter le trouble chez le
spectateur mais bel et bien de provoquer un véritable
malaise, une sensation désagréable
d’atmosphère glauque.
La manipulation du spectateur par la nature visuelle de l’image est claire : ce que je vois n’est pas notre monde mais lui ressemble étrangement.
Le terme réalité altérée est
emprunté à l’univers de Silent Hill, de Keiichiro Toyama. Le jeu
vidéo appartient au domaine ludique et participe
à l’éveil et à la distraction. Ce
médium n’est pas communément
considéré comme œuvre d’art à part
entière. Cependant, le thème du jeu vidéo se
retrouve de plus en plus souvent dans les productions artistiques
contemporaines. Ce n’est donc pas qu’un simple
divertissement mercantile mais potentiellement un art, au sens
artisanal du terme,
pleinement maîtrisé.
Tout comme les images engendrées par
l’esthétique du glauque, l’univers du jeu
vidéo est régi par des commandements incontournables,
qui stimulent le ressentit presque sado-masochiste du spectateur.
Suivre et comprendre ces règles qui imposent une soumission
perverse oblige à une totale acceptation du principe
même de l’univers dans lequel nous évoluons.
Ces images forcent donc l’implication et
l’imprégnation de l’auditeur par
l’élaboration de leur quête
révolutionnaire. Car révolution il y a, dans une
certaine mesure, puisque l’acteur du jeu vidéo,
qu’il soit créateur actif ou analyste passif, tend
vers un nouvel idéal esthétique découlant de
cette vieille revendication de la beauté de la laideur.
Ainsi, l’esthétique du glauque propose d’explorer les valeurs connotées négativement par un certain conventionnalisme de l’Art. Pour ce faire, ce mode de représentation de la réalité utilise l’idée du miroir reflétant un Homme en prise aux tourments qui caractérise notre civilisation.